HOMÉLIE POUR LA MESSE DES OBSÈQUES DE MONSEIGNEUR MATHIAS NGARTERI MAYADI

Écrit par Guinaga Joseph le .

Textes : Éphésiens 2,13-22

                    Jean 21,14-19

 

Chers frères et sœurs.

Notre frère évêque, Mathias, vient de nous quitter de façon inattendue, nous laissant comme des orphelins, en particulier vous de l’Église de N’Djamena. Nous sommes rassemblés maintenant pour lui dire un dernier adieu et le confier au Seigneur. Et je veux tout de suite, au nom des Évêques du Tchad, exprimer à tous les fidèles de l’Église de N’Djamena, prêtres, religieux et religieuses, fidèles laïcs, baptisés et catéchumènes, l’assurance de notre communion à leur souffrance.

 

 

Mais il ne s’agit pas seulement de l’Église de N’Djamena, votre présence si nombreuse à cette cérémonie, les innombrables visites et témoignages de condoléances venues de toute part, sont la preuve de ce que Monseigneur Mathias représentait non seulement pour les chrétiens mais aussi pour tous les Tchadiens. Que nos cœurs soient bien unis maintenant dans notre prière pour lui.

 

L’évangile que nous venons de lire : « Pierre m’aimes-tu ? Seigneur tu sais bien que je t’aime ! Pais mes brebis », n’a pas été choisi pour rien. C’était en effet l’évangile qui avait déjà été choisi pour la messe de son ordination épiscopale, le 12 avril 1986 à Sarh. Cet extrait de l’évangile de Jean nous laisse un message en même temps très beau, mais en même temps très exigeant.

 

Il est beau parce qu’il résume toute notre vie à la suite de Jésus, tant pour ceux qui dirigent le peuple le Dieu que pour le peuple de Dieu lui-même. Notre vie de chrétiens doit être une vie d’amour. Jésus nous a aimés et veut être aimé. « Pierre, m’aimes-tu plus que ceux-ci ? » Si Pierre n’aime pas Jésus, Jésus ne pourra pas lui confier son troupeau, c’est-à-dire l’Église. L’Église est née du sang versé par Jésus sur la croix, signe suprême de son amour. Et c’est de ce même amour que tous les baptisés, et en particulier les responsables de l’Église, doivent aimer Jésus.

 

Pierre  n’est pas digne de la tâche de pasteur que le Seigneur veut lui confier car il a renié son maître au moment de la passion : « Je ne connais pas l’homme dont vous me parlez » (Mc 14,71), a-t-il dit. Mais le pardon de Jésus va le rétablir dans sa dignité d’apôtre. Comme il a renié Jésus trois fois, trois fois Jésus va lui demander : « Pierre m’aimes-tu » ? Trois fois Pierre va répondre, tout attristé que Jésus semble douter de lui: « Seigneur, toi qui connais toutes choses, tu sais bien que je t’aime ». Et alors un nouveau commencement est possible pour Pierre. C’est cela le sens de la dernière phrase de l’Évangile : « Suis-moi », lui dit Jésus. C’est la même parole que Jésus lui avait déjà dite lors du premier appel.

 

Ce qui est encore important dans cet évangile, en plus de l’exigence de l’amour, c’est que Jésus dit à Pierre : « Sois le berger de mes brebis ». Mes brebis, dit Jésus. En effet, les brebis n’appartiennent pas à Pierre, elles appartiennent à Jésus. C’est lui Jésus le vrai berger, comme il l’a dit plusieurs fois. Cette parole est valable pour tout pasteur : il doit paître le troupeau au nom de Jésus et à l’exemple de Jésus, et non pas en son nom personnel ni comme il le veut. Jusqu’à donner sa vie s’il le faut. Nous avons écrit dans le message de la CET pour annoncer la mort de Monseigneur Mathias qu’il était « mort en tenue de service ». C’est vrai.  Mgr Mathias avait certainement ses défauts, comme tout homme, mais il mettait tout son cœur dans ce qu’il faisait, sans ménager sa santé. Quelques jours avant sa mort, alors qu’il se savait gravement malade, il est encore allé célébrer la messe dominicale à Maïlao. Il était revenu plein de joie d’avoir pu le faire. Deux jours après, il est tombé pour ne plus se relever.

 

Si le pasteur doit paître le troupeau au nom de Jésus et à l’exemple de Jésus, nous-mêmes, les brebis, devons nous poser la question : sommes-nous vraiment le troupeau qui appartient à Jésus, ou bien ne sommes-nous pas souvent disciples d’autres maîtres ? « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole », a dit Jésus. (Jn 14,23) La mort de Monseigneur Mathias n’est-elle pas un appel de Dieu pour les chrétiens de l’Église de N’Djamena et pour nous tous chrétiens du Tchad ?

 

La première parole de Dieu que nous avons entendue, tirée de la lettre aux Éphésiens, a été choisie parce qu’elle parle beaucoup de la paix et de l’unité :

« C’est lui (le Christ) qui est notre paix, de ce qui était divisé, il a fait l’unité. Dans sa chair il a détruit le mur de séparation, c’est-à-dire la haine » (v 14).

« Au moyen de la croix, il a tué la haine. Il est venu annoncer la paix… » (vv 16-17).

 

En plus d’être archevêque de N’Djamena, Monseigneur Mathias avait plusieurs responsabilités parmi les évêques: il était vice-président de la Conférence épiscopale et a été  président de la Commission Épiscopale Parole de Dieu et pastorale biblique, de la Commission Éducation et de la Commission Justice et Paix. La pastorale biblique lui tenait à cœur, mais je voudrais souligner surtout son engagement au service de la justice, de la paix et du dialogue inter-religieux. C’est cet aspect de l’engagement de Monseigneur Mathias qui est surtout souligné par l’ensemble des Tchadiens, sans distinction de religion. Nous avons entendu de la bouche même des plus hauts responsables de l’État que Monseigneur Mathias avait joué un rôle prépondérant au Tchad pour la paix, l’unité et le respect entre les différentes religions. En ce sens il est une grande perte pour notre pays. Mais tous espèrent que l’œuvre qu’il a commencée pourra continuer malgré son départ. Le président de la République lui-même vient de me le confirmer tout de suite.

 

Certainement par exemple qu’il a été un élément majeur dans l’importance qu’a prise la journée du 28 novembre, devenue Journée de la Coexistence pacifique. La célébration de cette journée doit continuer, avec la collaboration, pas seulement des croyants des différentes religions mais aussi d’autres instances nationales. L’importance que revêt cette fête à N’Djamena pourrait aussi s’étendre aux autres régions du pays, si ce n’est déjà fait.

 

Chers frères et sœurs chrétiens, je vous demande maintenant : est-ce que travailler à la réconciliation, à la justice, à la paix et à l’unité ne devrait pas commencer au-dedans de l’Église même ? L’apôtre Paul nous dit : « Il (le Christ) a voulu, à partir du juif  et du païen, créer un lui un seul homme nouveau, en établissant la paix, et les réconcilier avec Dieu tous les deux en un seul corps, au moyen de la paix ; en lui il a tué la haine » (v 15-16). Que penser de nos communautés souvent claniques ? de nos Églises trop souvent à couleur ethnique ? des divisions, des jalousies, et même des malversations de toutes sortes qui peuvent exister dans notre Église catholique ? Que penser des accusations de sorcellerie allant parfois jusqu’au crime ? Le départ de notre grand frère Mathias, premier évêque tchadien, ne doit-il pas nous interpeler sur la qualité de notre foi et notre façon de vivre en Église ?

 

L’apôtre Paul dit encore : « Vous êtes concitoyens des saints, vous êtes de la famille de Dieu ». Nous parlons souvent de «l’Église-famille de Dieu », mais Dieu se reconnaît-il dans cette famille que nous formons, ou bien notre Église n’est-elle pas trop matérialiste et trop mondaine, c’est-à-dire influencée par l’esprit du monde, et donc pas assez spirituelle, comme le dit souvent le pape François ? Et sommes-nous conscients que nous sommes nous-mêmes l’Église, « intégrés tous ensemble à la construction pour devenir une demeure de Dieu par l’Esprit », comme on vient de l’entendre aussi dans l’épître ? 

 

Chers frères et sœurs. Nous allons continuer notre célébration mais je voudrais encore vous dire quelque chose avant de terminer. Monseigneur Mathias Ngarteri est parti après 35 ans de service sacerdotal et 28 ans de service épiscopal. Comme on l’a dit, il est parti « en tenue de service ». Il serait déplacé maintenant de nous poser un tas de questions comme certains le font dans de telles circonstances. Souvent la mort est l’occasion de divisions dans les familles pour de multiples raisons. On répand toutes sortes de rumeurs, même dans les cabarets. Qu’il n’en soit pas ainsi parmi nous. Il ne sert à rien de nous demander : de qui est-ce la faute si Monseigneur Mathias est mort ? Je peux vous assurer que ce n’est la faute de personne et que Monseigneur Mathias était maître de son destin, après Dieu. Il savait parfaitement qu’il était gravement malade et qu’il pouvait partir quand l’heure serait venue. Je peux même vous dire que le soir de la signature de l’accord entre le Saint-Siège et l’État tchadien, il a cité la parole de Syméon : « Maintenant, ô maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix ». Nous avons pensé que cela exprimait simplement sa joie d’avoir vu se concrétiser cet accord auquel il tenait beaucoup, mais il y avait peut-être dans ces paroles plus que cela.

 

En tout cas, au lieu de faire toutes sortes de suppositions, mieux vaut nous demander comment nous allons combler le vide que Monseigneur Mathias laisse. À vous, chrétiens de N’Djamena, laissez-moi vous dire, en tant que président de la Conférence épiscopale, et donc au nom de l’Église du Tchad, qu’il ne suffit pas d’attendre qu’un autre évêque soit nommé. Malgré le départ de votre évêque, l’Église continue. Vous êtes l’Église mère pour ainsi dire, étant l’Église de la capitale et de l’archidiocèse. Vous devez donc montrer la route aux autres Églises. Vous tous, chrétiens, êtes concernés. Et en priorité les prêtres et les responsables. Qu’il n’y ait pas de divisions entre vous, pas de jalousies, mais plutôt la paix et l’unité comme on vient de l’entendre dans la lettre de l’Apôtre Paul. Que chacun fasse son travail avec amour et dévouement, dans l’unité et la collaboration.

 

Maintenant, en continuant cette célébration, nous allons dire à notre frère Mathias : va en paix, et dire à Dieu : accueille notre frère dans ta maison. Amen.

 

 

+ Jean-Claude Bouchard

    Président de la CET