HOMÉLIE. Messe solennelle de clôture du JUBILÉ DIOCÉSAIN

Écrit par Gabriel Arroyo le .

1. « Que dans vos cœurs règne la paix du Christ ! Vivez dans l’action de grâce ! » (Col 3,15). Frères et sœurs, évêques, prêtres, religieux, religieuses et fidèles laïcs, soyez tous et toutes les bienvenus à cette célébration eucharistique importante pour l’Église de Dieu qui est à Pala, Église que vous aimez, votre présence à cette fête en est la preuve. La liturgie d’aujourd’hui clôture l’année jubilaire que nous avons vécue à l’occasion des cinquante ans de notre diocèse et, qui plus est, cette fête tombe le jour anniversaire de la dédicace de notre cathédrale. C’est pour cela que ce sont des textes bibliques prévus pour la dédicace qui ont été choisis. 

Frères et sœurs invités, merci d’être venus célébrer avec nous dans l’action de grâces ce qui a été fait dans et par notre Église durant ces cinquante ans et en remercier le Seigneur. Mais permettez que dans cette homélie je parle surtout aux fidèles de l’Église de Pala, tout d’abord parce qu’il serait prétentieux de ma part de m’adresser à tout le pays, en présence de son épiscopat, et aussi parce que je me sens plus autorisé à parler à l’Église dont je suis le pasteur depuis maintenant trente-huit ans. Je ne voudrais pas que les fruits de l’année que nous venons de vivre se tarissent à partir d’aujourd’hui.

Comme vous le savez, le thème de l’année jubilaire était : « Église de Pala, peuple de Dieu en marche ». C’est-à-dire : quelle Église sommes-nous ? Vers quoi sommes-nous en marche ? Avec quelle mission ? Ce sont les thèmes des lectures bibliques choisies pour la fête d’aujourd’hui.

2. Apocalypse.  « J’ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle. » « Voici que je fais toutes choses nouvelles ». C’est vers cela que nous sommes en marche, mais c’est déjà commencé avec la résurrection du Seigneur Jésus Christ. La création de ce ciel nouveau et de cette terre nouvelle était déjà annoncée par le prophète Isaïe (65,17 ; 66,22) et résume toute l’histoire du salut jusqu’à la pleine réalisation dans la Jérusalem céleste dont parle l’Apocalypse. Cette Jérusalem céleste c’est l’Église. Il ne s’agit pas d’une autre Église, qui arrivera plus tard, mais de l’Église dont nous faisons déjà partie, car l’Église qui doit atteindre sa pleine réalisation plus tard est déjà présente sur la terre. « J’ai vu descendre du ciel, d’auprès de Dieu, la cité sainte, la Jérusalem nouvelle… ». « Voici la demeure de Dieu avec les hommes ; il demeurera avec eux et ils seront son peuple ». Quel prodige !

3. Frères et sœurs, il est important de nous demander quelle idée nous nous faisons de l’Église. Ma longue expérience de pasteur à Pala et au Tchad m’enseigne qu’il y a chez trop de baptisés beaucoup d’ignorance et de déviations au sujet de l’Église. Pour savoir ce que doit être l’Église maintenant, il est important de regarder vers quelle Église nous sommes en marche. L’Église, nous venons de l’entendre,  est une cité humaine, composée d’hommes et de femmes, mais qui ne vient pas des hommes. Les hommes et les femmes qui composent l’Église ne sont pas seulement enfants des hommes, mais sont devenus enfants de Dieu par l’accueil de la Bonne Nouvelle et le baptême  qui est une nouvelle naissance et exige de vivre et de se comporter en conséquence. Notre pape François dit souvent que l’Église est trop mondaine et pas assez spirituelle. Cela veut dire que notre mentalité et nos comportements ne sont pas ceux de gens spirituels, c’est-à-dire guidés par l’Esprit Saint,  mais ceux de gens du monde. Il répète aussi constamment que l’Église n’est pas une ONG, c’est-à-dire une simple association de développement. L’Église doit donc se convertir. Dans l’Exhortation apostolique Evangelii Gaudium, le pape dit clairement : « Chaque Église particulière, portion de l’Église catholique sous la conduite de son Evêque, est elle aussi appelée à la conversion missionnaire… J’exhorte chaque Église particulière à entrer dans un processus résolu de discernement, de purification et de réforme. » (EG no 30)

4. C’est à entrer dans un tel processus que j’avais convié notre Église de Pala dans ma lettre pastorale pour lancer l’année jubilaire. Nous étions appelés à examiner notre propre Église : nous sommes le peuple de Dieu en marche, avons-nous dit et chanté. Nous avons regardé d’où nous venons et fait l’histoire de nos paroisses. Mais nous devons maintenant nous demander vers quelle destination nous sommes en marche. Mais sommes-nous vraiment tous en marche ?  « Voici que je fais toutes choses nouvelles », venons-nous d’entendre dans  la bouche du Seigneur Jésus glorifié. Qu’en est-il pour nous ? N’avons-nous pas souvent peur des choses nouvelles, peur de changer, peur même de l’Évangile qui serait trop exigeant ? Ne vivons-nous pas au jour le jour, sans projets d’avenir, ni pour notre Église, ni pour notre société ? Dans ces conditions, comment Dieu peut-il essuyer toute larme de nos yeux… supprimer les pleurs, les cris, la tristesse ? Ne sommes-nous pas souvent responsables de nos propres larmes et de notre propre tristesse ? Peut-être que, sans nous en rendre compte,  nous essayons de construire la société humaine seulement avec nos propres forces, sans l’aide de Dieu. Et pourtant si nous connaissions mieux le projet que Dieu a sur l’humanité, dans son Fils Jésus, mort et ressuscité, nous pourrions construire autrement, et l’Église et le pays. Posons-nous la question : à la fin de cette année jubilaire, quels projets avons-nous pour notre Église ? pour notre propre vie de chrétien dans l’Église et dans la société ? Comment comptons-nous vivre et travailler ? La deuxième parole de Dieu peut nous aider à trouver la réponse.

5. Éphésiens.  « En vivant dans la vérité de l’amour, nous grandirons dans le Christ ». « Nous parviendrons ensemble… à l’état d’adultes… Nous ne serons plus comme des enfants, ballottés, joués par les hommes… » . Pasteurs et chrétiens de l’Église de Pala, vous savez qu’en 2004 j’ai écrit une lettre pastorale intitulée : « Construire une Église adulte et responsable ». Cette lettre est toujours d’actualité. Nous n’avons jamais fini de devenir adultes. Mais si nous ne vivons pas comme le dit l’apôtre Paul « dans la vérité de l’amour », nous ne grandirons pas dans le Christ, ni comme chrétiens individuels, ni comme Église. Le corps du Christ se construit dans l’amour. Mais qu’est-ce que l’amour ? La parole de Dieu vient de parler de la vérité de l’amour. Il est important de joindre ensemble l’amour et la vérité. Nous prétendons aimer, mais s’il n’y a pas la vérité dans notre amour, ce n’est pas de l’amour vrai.

6. Dans son encyclique «  La charité dans la vérité ». le pape Benoît XVI affirme : «   Ce n'est que dans la vérité que l'amour resplendit et qu'il peut être vécu avec authenticité. La vérité est une lumière qui donne sens et valeur à l'amour… Dépourvu de vérité, l'amour bascule dans le sentimentalisme. L'amour devient une coque vide susceptible d'être arbitrairement remplie. C'est le risque mortifère qu'affronte l'amour dans une culture sans vérité. Il est la proie des émotions et de l’opinion changeante des êtres humains ; il devient un mot gaspillé et déformé, jusqu'à signifier son contraire. La vérité libère l'amour des étroitesses de l'émotivité qui le prive de contenus relationnels et sociaux. » (C in V no 3)

« Un Christianisme de charité sans vérité peut facilement être confondu avec un réservoir de bons sentiments, utiles pour la coexistence sociale, mais n'ayant qu'une incidence marginale. Compris ainsi, Dieu n'aurait plus une place propre et authentique dans le monde. Sans la vérité, la charité est reléguée dans un espace restreint et appauvri. (C in V no 4)

Il n’y a pas place ici pour méditer ces paroles mais je les recommande à tous, pasteurs et fidèles laïcs. Sans la vérité et la justice, il ne peut y avoir d’amour vrai dans l’Église, ni dans la société d’ailleurs. Sans la vérité, chacun interprète l’amour et la façon d’aimer comme il veut, souvent selon ses projets ou intérêts personnels. Dans l’Église, les pasteurs sont menacés par le cléricalisme et le paternalisme et, en ce qui concerne la société,  une culture sans vérité court un risque mortel, dit Benoît XVI. On peut résumer tout cela en disant qu’on ne peut pas construire une Église et une société avec une mentalité d’enfants, « ballottés et joués par les hommes », pour employer les paroles de l’apôtre Paul. La vérité est la caractéristique des adultes car la vérité exige du courage. « Vous voilà donc débarrassés du mensonge ; que chacun dise la vérité à son prochain, car nous sommes membres les uns des autres. » (Éph 4,25) Mais la vérité au sens biblique c’est plus que ne pas mentir, c’est le plein accord de l’homme avec ce que Dieu veut réaliser en Jésus Christ : « Je suis le chemin, et la vérité et la vie. Personne ne va au Père excepté par moi (Jn 14,6).

7. « Le peuple saint est organisé pour que les tâches du ministère soient accomplies et que se construise le corps du Christ ». Il y a beaucoup de choses dans ces paroles. D’abord  l’Église est le corps du Christ. Le corps de Jésus est humain et divin, l’Église est donc humaine et divine. Et comme on ne peut pas séparer Jésus dans son humanité et sa divinité, on ne peut pas non plus séparer l’humain et le divin dans l’Église. Frères et sœurs, quel mystère que l’Église ! Ce mystère nous dépasse mais nous sommes appelés à y entrer car le corps du Christ ne nous est pas donné tout fait, nous sommes appelés à le construire ; nous sommes nous-mêmes les membres de ce corps. Mais comment construire le corps du Christ, et donc l’Église ? Par les tâches du ministère, nous dit l’apôtre Paul. Jésus est toujours là avec nous, il nous l’a dit. L’esprit Saint est là car le Père et Jésus nous l’ont donné. Mais Jésus et l’Esprit Saint ne peuvent pas se passer de nous, pasteurs, catéchistes et missionnaires de l’Évangile. Sommes-nous suffisamment conscients qu’en exerçant un ministère, c’est-à-dire un service, quel qu’il soit, dans l’Église, nous construisons le corps du Christ ? Si oui, quelle motivation devrait alors être la nôtre ! Loin de tout intérêt matériel, ou de gloire et de prestige ! C’est exigeant, oui, mais c’est ce qu’a fait notre maître Jésus et l’apôtre Paul dit dans la lettre aux Philippiens que nous devrions avoir le même comportement d’humilité que le Christ Jésus lui-même qui était pourtant de condition divine.  (Phi 2,5-8)

8. L’Apôtre Paul insiste sur les ministères plus importants (les apôtres, les pasteurs, ceux qui enseignent) mais il ne néglige pas pour autant ce qui doit être la tâche de tous les membres du corps. « Le corps tout entier, coordonné et bien uni, poursuit sa croissance, selon l’activité qui est à la mesure de chaque membre. » Dans cette petite phrase il y beaucoup de choses. D’abord, personne dans l’Église ne devrait pouvoir dire qu’il n’a aucun devoir comme chrétien car tous les membres du corps ont leur importance. Ensuite l’apôtre dit que le corps doit être coordonné et bien uni. Frères et sœurs, en est-il ainsi dans nos communautés ? Parfois, que de mésententes, de divisions, de jalousies, d’esprit de domination au lieu d’esprit de service… Il faut encore ajouter que l’activité devrait être à la mesure de chaque membre. En entendant ces paroles nous pouvons penser à tous les baptisés, anciens et nouveaux, qui ne veulent pas avoir de responsabilités, exercer les ministères dont ils seraient capables. En faisant l’histoire de nos paroisses durant l’année écoulée, on a vu que beaucoup de communautés, et même certaines paroisses peut-on dire, ont été commencées par des baptisés et non des prêtres. Il ne faut pas perdre cette mentalité missionnaire. Il y a des milliers de nouveaux baptisés chaque année, et pourtant il devient toujours plus difficile de trouver des catéchistes pour donner correctement la parole de Dieu et des responsables motivés pour les communautés.

9. Nous devons enfin penser à la prise en charge matérielle de l’Église. Ce sont souvent les plus faibles et les plus pauvres qui sont les plus généreux. Ceux qui ont plus de moyens veulent que tout le monde soit mis sur le même pied, paie par exemple la même somme  pour le denier du culte. Où sont la vérité et la justice dans tout cela ? L’apôtre Paul dit bien « à la mesure de chaque membre ». Je rappelle que, depuis 2001, j’ai écrit cinq lettres pastorales sur la prise en charge de l’Église. Nous venons de rééditer ces lettres pour les nouveaux pasteurs et les nouveaux chrétiens qui ne les connaissent pas, ou pour les anciens qui les ont oubliées. Que tous les lisent ou les relisent.

10. C’est vrai que ce qu’on appelle « la prise en charge de l’Église » n’est pas bien compris. On dit que c’est nouveau alors que c’est une exigence qui a toujours existé dans le droit de l’Église : « Les fidèles sont tenus par l’obligation de subvenir aux besoins de l’Église afin qu’elle dispose de ce qui est nécessaire au culte divin, aux œuvres d’apostolat et de charité et à l’honnête subsistance de ses ministres. » canon 222.

« L’évêque diocésain est tenu d’avertir les fidèles de cette obligation et de voir à ce qu’elle soit appliquée. » canon 1261.

Frères et sœurs chrétiens du Mayo-Kebbi, (j’aurais envie de dire « du Tchad » car je sais que mes frères évêques sont d’accord avec moi), il est urgent de réaliser que l’Église-Famille de Dieu qui est chez nous, est notre Église, qu’elle nous appartient à tous et à chacun. Il faut donc la prendre en charge, aider à la faire vivre, sinon elle n’est pas une Église locale mais une Église étrangère. En tout cas, personnellement, j’en fais une exigence comme suite à donner à notre année jubilaire. Trop de baptisés, quand ils considèrent que l’Église est leur Église, c’est pour recevoir et non pas pour donner. Il n’en est pas ainsi dans une famille. Si on ne veut pas donner, on n’a pas le droit de demander, car les droits et les devoirs sont inséparables. Il faut se poser la question : au Tchad, voulons-nous être de vraies Églises locales ou être des Églises constamment dépendantes ?

11. « Allez donc ! De toutes les nations faites des disciples, baptisez-les au nom du Père, et du Fils et du Saint Esprit. » Dans cet envoi en mission de Jésus, il y a trois éléments, qui sont  inséparables. Malheureusement on ne retient souvent que l’élément du milieu : « baptisez-les ». Or le plus important c’est : « de toutes les nations faites des disciples ». Il faut souligner ici que Jésus ne parle pas des personnes au singulier, mais des nations ou peuples. Cela pose tout le problème de l’évangélisation des cultures et de la société. Nous parlons beaucoup d’inculturation mais qu’en est-il en réalité ? Ce sont nos peuples qui doivent devenir disciples de Jésus, dans toute leur réalité, religieuse, culturelle et sociale. Si nous regardons notre Église et notre société, que voyons-nous ? Souvent une absence de sens ecclésial ou communautaire et un grand individualisme. Dans l’Église, beaucoup cherchent le baptême pour eux seulement, et dans la société on ne pense pas au bien commun mais à son bien personnel. Est-ce que cela est compatible aussi avec ce que dit Jésus : « Apprenez-leur à garder tous les commandements que je vous ai donnés ».

12. J’arrive au dernier point qui sera très bref. Si nous faisons naître et grandir l’Église chez nous, ce n’est pas pour rester entre nous mais pour nous ouvrir à la mission. Jésus a formé ses disciples pour les envoyer en mission. Il en est de même pour nous. Si les premiers qui ont reçu la parole de Dieu ne l’avaient pas annoncée, elle ne serait pas arrivée au Mayo Kebbi, au Tchad. Il est de notre devoir de faire la même chose. Et la mission n’est pas seulement l’affaire de quelques-uns. Si l’Église est notre Église, si elle nous appartient à tous, sa mission est aussi notre mission à tous. 

À la fin de cette année jubilaire, si je devais résumer les cinquante ans passés de notre Église de Pala, je dirais aux pasteurs et aux baptisés que durant les cinquante ans écoulés, nous avons construit une Église en nombre et en étendue, mais que le travail qui nous attend pour les cinquante ans à venir c’est d’approfondir la parole de Dieu et de construire l’Église en profondeur et sur des bases solides. 

 Je termine cette homélie par une parole forte de notre pape François, qui cadre parfaitement avec le thème de notre jubilé et qui constitue en quelque sorte une ouverture pour la suite à donner à cette année jubilaire : 

« L’évangélisation est la tâche de l’Église. Mais ce sujet de l’évangélisation est bien plus qu’une institution organique et hiérarchique, car avant tout c’est un peuple qui est en marche vers Dieu. Il s’agit certainement d’un mystère qui plonge ses racines dans la Trinité, mais qui a son caractère concret historique dans un peuple pèlerin et évangélisateur ». (EG 111)

Frères et sœurs, soyons un peuple pèlerin et évangélisateur.  AMEN

Apocalypse 21, 1-5a
Éphésiens 4,1,11-16
Mathieu 28, 16-20