La foi est quelque chose de personnel
« Si quelqu’un m’aime, il restera fidèle à ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons chez lui, nous irons demeurer auprès de lui. (Jn 14,23)
Peut-être va-t-on s’étonner que j’écrive à partir d’un texte qui est archiconnu. Il s’agit en fait d’un extrait de l’évangile de la messe de la Pentecôte que nous avons entendu hier. Mais je trouve que ces paroles de Jésus sont non seulement bien adaptées pour l’année de la foi mais qu’elles nous interpellent aussi pour notre travail d’évangélisation et même de promotion humaine. Nous parlons beaucoup d’inculturation mais est-ce que nous ne passons pas souvent à côté de l’essentiel, tout en nous demandant pourquoi notre travail ne produit pas de résultats ? Je vous livre en toute simplicité quelque chose de ma méditation préparatoire à mon homélie d’hier. Nous croyons connaître l’Évangile mais on y trouve toujours du nouveau.
Ce qui devrait nous frapper lorsque nous lisons cette péricope 14,15-24 de l’évangile de Jean c’est que Jésus utilise d’abord le pluriel : « si vous m’aimez, vous… » (vv. 15-20). Il s’adresse alors à ses disciples ensemble. Mais il passe ensuite au singulier : « celui qui m’aime»… « si quelqu’un m’aime »… (vv. 21-24). Pourquoi ? J’en déduis que c’est pour nous faire comprendre que si l’amour pour Jésus doit être vécu en communauté, en Église, cet amour, et donc la foi en Jésus, doivent cependant être quelque chose de personnel. Jésus parle d’une présence intérieure du Père et du Fils en nous. Il faut alors comprendre que la révélation de Jésus (et donc la réponse qu’est la foi) ne s’adresse pas à des masses d’individus mais qu’elle est une proposition qui s’adresse à chacun en particulier et cherche à créer une relation personnelle.
Nous vivons dans une société qui peine à faire le passage de la collectivité à l’individu, de l’individu à la personne. Et il me semble qu’une telle évolution est obligatoire non seulement pour un vrai développement mais aussi pour une foi authentique. Si l’esprit collectif peut favoriser une certaine solidarité, la trop grande pression sociale sur les individus est un obstacle au développement car elle détruit la motivation personnelle pour grandir. La règle qui prévaut est en effet l’égalitarisme et le conformisme, empêchant la créativité et l’esprit d’initiative. Si « la personne » n’existe pas, une vraie société peut-elle exister et évoluer ?
Ne peut-on pas dire la même chose au sujet de la foi chrétienne et de la vie en Église ? Une Église n’est-elle pas tributaire de la foi vivante de ses membres ? On craint parfois de trop insister sur les exigences personnelles de la foi de peur d’avoir une « Église de purs » qui empêcherait la « religion populaire ». Mais sans une foi et un engagement personnels des chrétiens, ne risque-t-on pas d’avoir une Église-association ? Je rappelle en passant que c’est ce que le nouveau pape François a dit dans sa première intervention aux cardinaux : qu’il voulait une Église renouvelée, plus spirituelle, et pas une Église-association ou ONG !
Il ne m’est pas possible de développer ici les implications de ce que je viens de dire, mais je crois que cela devrait faire évoluer notre approche en ce qui concerne l’évangélisation et la pastorale, de même que notre engagement pour ce que nous appelons le développement. Si nous constatons que les efforts fournis depuis de nombreuses années pour faire évoluer la société semblent être toujours à recommencer c’est certainement qu’on n’a pas compris quelque chose de fondamental : et ce quelque chose ne serait-il la place du culturel qui fait que les gens ne s’approprient pas leur propre développement ? « Et si l’Afrique refusait le développement ? », est le titre d’un livre qui a beaucoup fait jaser en son temps, certainement parce qu’il contenait beaucoup de vérités. A-t-on beaucoup progressé depuis ? Et le même phénomène ne joue-t- il pas en ce qui concerne l’évangélisation ? Comment faire pour que les gens s’approprient personnellement la Révélation ? En tout cas le prophétisme ne semble pas beaucoup d’actualité ni dans notre société ni dans notre Église. Et que vient faire l’Esprit Saint dans tout cela : « Je prierai le Père et il vous donnera un autre défenseur qui sera toujours avec vous : c’est l’Esprit de vérité » (vv. 16-17). Lui donne-t-on sa place ?
Je remercie de tout cœur ceux et celles qui nous quittent définitivement, avec de bons souvenirs j’espère. Je souhaite un bon congé à ceux et celles dont c’est le tour et une bonne saison des pluies à ceux et celles qui restent (dont je fais partie). Que le Seigneur nous donne son Esprit en abondance en ce temps de Pentecôte. Et profitons de la saison des pluies pour travailler intellectuellement et spirituellement.
† Jean-Claude Bouchard