Témoignage du P. Claude VICTOR

Écrit par Gabriel Arroyo le .

Ancien Vicaire général

Pour vous situer un peu d’abord, vous aviez 50 ans de moins – et moi aussi – quand je suis né à la vie tchadienne.

Quand Jésus est entré dans notre humanité, sa porte d’entrée ce fut une terre bien précise, celle d’Israël, et une langue ou deux (l’araméen, l’hébreu et peut-être le grec), ce qui ne l’a pas empêché d’être pour tous les peuples et toutes les langues le Sauveur du monde et le Fils de Dieu. Pour moi (mais je ne suis pas Jésus !), ma porte d’entrée au Tchad, c’était en 1964, juste après la création du diocèse de Pala, la terre massa de Bongor et de sa région sur les bords du Logone. Gigedebe, bosionna !

De par le baptême, quand j’étais petit, je peux dire que je suis né une 2e fois et ce qui a développé et fait grandir ma 2e naissance, ma vie de chrétien, c’est cette Eglise de Pala, ma Maman adoptive, qui fête aujourd’hui ses 50 ans comme diocèse. Elle m’a adopté, porté, nourri, pour devenir aux yeux de tous (y compris de mon pays d’origine) un enfant de Dieu, un frère de Jésus, et de vous tous.

Cette Eglise particulière a eu la grâce de naître comme diocèse pendant le Concile Vatican 2 (1962-65). Comment ai-je pu prendre racine ici et me retrouver avec vous pendant 50 ans, alors que je venais d’un pays, la France, où il y avait de bonnes choses pour vivre ? C’est certainement ici que le Seigneur voulait me mettre au service de sa Mission !

  • A mon arrivée, j’ai été accueilli par une équipe missionnaire fraternelle et détendue, composée seulement d’Oblats de Marie Immaculée, français et belges, et parmi eux, un jeune frère canadien, étudiant en stage, qui m’avait précédé d’un an, Jean-Claude Bouchard, à Moulkou. Il y avait aussi quelques sœurs oblates. Toutes et tous en tenue missionnaire, c’est-à-dire de service ! Vie simple, fraternelle, ayant le souci de la population, en proximité avec elle. Education, santé et « catéchèse » qu’on appelait alors « la doctrine » et qui rassemblait de maigres groupes. Après 2 ans, retour en France pour la fin des études au Grand Séminaire, puis ordination et affectation dans une paroisse de ville… Mais l’évêque de Pala, Mgr Dupont, et l’équipe missionnaire de Bongor m’ont rattrapé ! Il était possible de revenir au Tchad comme missionnaire, sans être d’une congrégation missionnaire, en restant prêtre de mon diocèse détaché et envoyé à l’extérieur comme « Fidei Donum ». Je suis revenu comme prêtre en 1972.
  • Au début, il n’y avait que des Oblats, puis ensuite plusieurs prêtres Fidei Donum sont venus se joindre à eux (un pas en avant vers un clergé diocésain). Ensuite des Xavériens et autres nous ont rejoints.
  • A mon premier séjour, il n’existait qu’un seul prêtre tchadien (François Ngaïbi). En 1972, ils étaient 3, dont Louis Draman à Fort-Lamy/N’Djaména et Raymond NDjédubum, Oblat ordonné en 1971 à Bongor. On lui avait demandé de m’apprendre sa langue maternelle et sa culture ngambay, ce qu’il a très bien fait : c’est par cette porte que j’ai pénétré la vie tchadienne, prêtre parlant ngambay un peu comme un bébé, apprenant les manières de se tenir, d’être accueilli, de respecter les conventions sociales locales, ce qui ne m’a pas empêché d’être prêtre pour tous. Mais je remercie particulièrement le milieu ngambay qui m’a formé à la vie tchadienne : M-arsi oyo iyâ, ngakômje !
  • A mon retour comme prêtre, je suis arrivé quand l’équipe de Bongor a décidé de revenir à la source d’eau claire et fraiche qu’est l’Evangile pour annoncer, non pas dans un vocabulaire étranger et hermétique, mais simple et clair, la personne même de JESUS. On n’allait plus annoncer une « doctrine », ni une morale, ni une nouvelle religion, mais Jésus : l’Evangile est en lui-même une catéchèse, La Catéchèse qui permet de rencontrer Jésus. On s’est adressé non pas d’abord à des petits enfants, mais à des adultes, même illettrés, qui ont pu découvrir Jésus comme une personne vivante, grâce à la méthode de transmission orale de l’Evangile. Cela m’a beaucoup plu et m’a même aidé moi-même non seulement pour la langue, mais aussi pour ma relation personnelle à Jésus. Alors pourquoi serais-je reparti ailleurs ?
  • Cela a favorisé l’émergence de nouvelles communautés, autour de la Parole de Dieu, qui étaient plus étoffées et plus adultes, et même les femmes se mettaient à dire la Parole et à prendre la parole en public, à faire des chants évangéliques, etc.
  • L’évêque était revenu du Concile tout heureux et transformé, favorable aux initiatives dans chaque zone : Parole de Dieu comme Catéchèse, Animation rurale avec les Sœurs, etc… La Parole de Dieu a pu reprendre une place centrale, avant, pendant et après les Sacrements de l’Eglise et cela a suscité des Communautés plus vivantes, qu’ensuite il a fallu faire marcher ensemble pour qu’elles annoncent l’Evangile de Jésus Sauveur, qu’elles en témoignent, qu’elles s’engagent elles-mêmes pour rendre la vie meilleure dans le pays.
  • En 1977, c’est Jean-Claude Bouchard qui a reçu la charge de guider notre Eglise de Pala sur le chemin de Jésus. Il l’a rendue dynamique : visites, lettres pastorales, engagement pour le bien-être matériel des populations du MK… Il y eut alors en 1982 l’ordination du 1er prêtre diocésain de Pala, Justin Bwibé, ici présent, suivi d’autres (un Oblat en 1990, et des diocésains à partir de 1996/97). L’Eglise grandissait !
  • Il y eut pourtant des difficultés : les années de troubles et de guerre, les « événements », mais cela ne nous a pas fait fuir. On est resté à partager le sort de tout le monde et cela a rassuré aussi la population locale. Dans les années 85/90, il y eut aussi un déséquilibre entre la vie pastorale et le travail de développement qui se faisait plus intense pour relever le pays. Mais cela a entrainé certains malaises dans notre Eglise qui vont se résoudre peu à peu (assemblées synodales…).
  • Le chemin a continué… pour moi à la paroisse de Pala à partir de 1985 où  j’ai dû élargir mon champ d’action, près des communautés Lélé-Nantcéré (kura bedja, kura sidi…) et après le départ de P. Court, j’ai dû aller dans les communautés de langue zimé (suko bayrem !), et coordonner aussi l’ensemble paroissial, y inclues les communautés mundang (suko puli !) tupuri (suuse deban) et kéra (suuse ablaw !), pour former une grande paroisse, composée de villages et de quartiers divers. Enfin en 1995, mon travail s’est poursuivi au niveau diocésain à l’invitation de notre évêque comme Vicaire Général pendant 15 ans.
  • Ce fut pour moi le temps de beaucoup de réunions de commissions, de conseils, de problèmes à essayer de régler, de visites dans les zones pour le personnel, les rencontres de zone ou les confirmations parfois. On a eu une très bonne collaboration. Ce qui était plus dur c’était quand des nouveaux arrivaient dans le diocèse avec leurs idées de chez eux ou leurs projets tout faits, car dans ces cas-là difficile d’entrer dans les Orientations d’une Eglise locale qu’il faut respecter si l’on veut marcher tous ensemble.
  • Ce fut passionnant d’initier beaucoup de personnel apostolique à la Pastorale dans un contexte missionnaire, ce qui est autre chose qu’une pastorale d’entretien ! Ce qui était important aussi c’était l’arrivée de nouveaux prêtres diocésains issus de notre population, une vingtaine plus des religieux (oblats…) et même un moine bénédictin (Jean-Bosco, actuellement au Burkina), et bien sûr l’accompagnement de nombreux séminaristes dans le cheminement de leur formation.
  • En 50 ans, l’Eglise du Tchad est passée de 1 à plus de 200 prêtres. Les baptisés de notre Eglise de Pala sont passés d’environ 6000 en 1964 (avec 11 000 catéchumènes) à plus de 50 000 baptisés et beaucoup de jeunes catéchumènes en marche derrière Jésus.

Mes souhaits pour finir :

  1. Je souhaite que la Parole de Dieu garde la première place, dans les langues maternelles et en français, dans notre Pastorale et dans la vie des CEB.
  2. Je souhaite que les CEB soient des Communautés Ecclésiales Vivantes, structurées, avec un réel partage du travail et des divers services dont elles ont besoin, et se renouvelant par un catéchuménat authentique et exigeant qui permet de faire naître la foi en Jésus.
  3. Je souhaite une Eglise tournée non pas sur elle-même (« nombrilisme ») mais sur la société d’aujourd’hui avec ses problèmes à résoudre : alcoolisme, corruptions, accusations, injustices… et son envie d’une vie meilleure (santé, éducation, agriculture… dommage que le Collège Elie Tao perde sa vocation professionnelle agricole !)… Comment vont vivre les Tchadiens des villes s’il n’y a pas l’agriculture ?
  4. Je souhaite une Eglise tchadienne pour le Tchad,  pour l’Afrique, pour le Monde…pour faire en sorte que l’Eglise devienne vraiment catholique, que notre Eglise de Pala apporte son visage propre, original, pour enrichir l’Eglise universelle, sans chercher à ressembler en tous points aux autres, comme dans une famille chaque enfant tient bien sa place, ce qui n’empêche pas la bonne entente dans la famille !

Ces souhaits demanderont du temps pour se réaliser. Il ne faut pas aller trop vite. En ngambay, on dit : « I ndebe yiâ daa a k-un singa » (Tu te presses à prendre un morceau de viande, et tu tombes sur un os !)

J’aurais aussi voulu citer ce proverbe plus long (mais temps limité !) :

« K-aw djan djan yaa  de kuma tee be-de, k-aw buwa yaa  de kuma tàa mbay-dèné…

Et ajouter : K-aw k-oo tar le Jésus de ndo ndo k-unda-né mesi doé-de   de kuma da Mèkô-Eglise gé gede gede yàa !

Il y aura des difficultés, toujours, mais : « la poule ne renonce pas à revenir auprès du mortier (pour picorer) » (« Kunja da bong gél biri el »). C’est la seule place où elle peut trouver à manger…

Ce qui veut dire qu’il nous faut être persévérants, ne jamais nous décourager malgré les difficultés…