ORDINATION SACERDOTALE DE TROIS NOUVEAUX PRETRES A PALA

Écrit par Tharcisse NIYOKINDI le .

HOMÉLIE POUR LES ORDINATIONS PRESBYTÉRALES

DE BLAISE GOUABO, FIDÈLE KOUMNA ET NORBERT SOUVALBE

Pala le 19 novembre 2016 

Jérémie 1,4-10                       La vocation de Jérémie

1 Timothée 4,12-16                Modèles pour les fidèles

Jean 15,9-17                          Demeurez dans mon amour

 Chers frères et sœurs.

Comme je l’ai dit à l’ouverture de cette célébration, je ne sais pas si j’aurai encore l’occasion de faire des ordinations presbytérales dans cette Église de Pala à laquelle je suis presqu’identifié après bientôt 50 ans de service dont 7 comme prêtre et 40 comme évêque.  J’ai déjà passé l’âge de la retraite pour les évêques. Et comme vous le savez peut-être, nous n’avons aucun séminariste en 4ème année de théologie pour être ordonné l’an prochain. Prions donc pour les vocations.

 

Quant à moi, j’ai consacré toute ma vie active de pasteur à l’Église de Pala, et donc aussi à celle du Tchad. Quand je regarde ce que j’ai pu accomplir comme évêque, ce ne sont pas les constructions matérielles que j’évalue mais plutôt le résultat des efforts que j’ai faits pour essayer de « construire une Église adulte et responsable », comme je l’ai dit et écrit à maintes reprises. Je ne sais pas si le Seigneur Jésus est satisfait des résultats et s’il trouve que notre Église de Pala ressemble à l’Église qu’il a voulu lui-même édifier par l’annonce de l’Évangile et pour laquelle il a versé son sang. C’est à lui Jésus de juger. Mais ce que nous pouvons nous-mêmes constater c’est que, si le nombre de baptisés a augmenté, si des communautés vivantes existent, le travail n’est pas achevé pour autant. Notre Église doit mûrir comme clergé et comme peuple chrétien, c’est-à-dire devenir plus consciente que c’est par ses propres forces qu’elle doit se construire, dans tous les domaines, aussi bien ministériels que matériels. Devenir aussi plus consciente que les chrétiens catholiques sont appelés à jouer un rôle plus important dans la société du Tchad. À ce sujet, je le dis franchement, l’absence des hommes dans notre Église est très préoccupante. Dimanche dernier, j’ai donné le sacrement de confirmation dans la paroisse de Torrok : sur 129 confirmands il y avait seulement 12 hommes! Les autres étaient des filles et des femmes, dont plusieurs vieilles mamans.

 Et pourtant, notre Église a besoin de baptisés qui soient prophètes, comme nous l’avons entendu dans la parole de Jérémie, de baptisés qui soient de vrais disciples de Jésus, comme nous l’avons entendu dans l’évangile, mais elle a aussi besoin de prêtres disposés, avec la grâce de Dieu, à se consacrer corps et âme au service de cette Église, selon la parole de l’apôtre Paul à Timothée. Rendons grâce à Dieu pour les 3 prêtres que nous allons ordonner aujourd’hui. Ils seront les 27,28 et 29èmes prêtres diocésains que j’ordonne depuis que je suis évêque et depuis le début des ordinations de prêtres diocésains dans l’Église de Pala. C’est peu, d’autant plus que plusieurs ont quitté le ministère. Mais rien ne sert de pleurer, mieux vaut plutôt nous demander ce que doit faire notre Église pour lui permettre d’attirer de plus nombreuses et solides vocations. J’ai souvent dit, à la suite du pape François, que notre Église n’est pas assez spirituelle, pas assez évangélique, même dans ses célébrations. Comment juger par exemple certaines fêtes exagérées que nous faisons lors des ordinations, des premières messes, des professions religieuses? Sont-elles sur le modèle d’une Église humble et pauvre, comme la veut le pape François, d’autant plus que notre Église dépend en grande partie de l’aide extérieure pour son fonctionnement ordinaire? À nous de nous interroger.

 Voyons maintenant ce que nous a dit la parole de Dieu.

  1. « Je fais de toi un prophète pour les nations… V
  2. oici, je mets dans ta bouche mes paroles! »

Jérémie est fait prophète : désormais il donnera la parole de Dieu. Cela ne veut pas dire que Dieu va lui dire tout ce qu’il doit annoncer, mais que maintenant Jérémie sent et pense comme Dieu. Non seulement il pourra comprendre toute parole de Dieu qu’il recevra mais il saura discerner la volonté de Dieu pour son peuple.

 « Tu iras vers tous ceux à qui je t’enverrai, tout ce que je t’ordonnerai tu le diras. »

 Nous connaissons par l’histoire du peuple d’Israël dans la Bible que le jeune Jérémie (il avait moins de 30 ans) a été appelé comme prophète à un moment très difficile de la vie du peuple : au moment de la destruction de Jérusalem par les Babyloniens et de la déportation d’une partie du peuple. Il y eut des guerres et des famines. Jérémie fut chassé parce que ses paroles ne plaisaient pas aux chefs du peuple. Il avertissait en effet les rois et les chefs religieux corrompus des drames qui allaient survenir à cause de leur infidélité à l’Alliance avec Dieu. Et la vie religieuse était devenue le dernier des soucis pour beaucoup d’Israélites.  « Ils ont abandonné ma loi que je leur avais donnée, dit Dieu, ils ne m’ont pas écouté, ils ne l’ont pas suivie. » (Jr 9,12). Jérémie va oser s’opposer à l’indifférence générale du peuple vis-à-vis de son Dieu. Il va fustiger l’impiété, le mensonge, l’injustice et l’oppression, les crimes, (Jr 2,26-37) et annoncer ruine sur ruine pour Jérusalem (Jr 4,20) (de fait elle sera assiégée deux fois en 10 ans et totalement détruite). Ce n’est pas étonnant alors qu’on se retourne contre le prophète et qu’il soit persécuté. On le voit comme un oiseau de malheur.

Mais le Seigneur lui dit : « Ne les crains pas, car je suis avec toi pour te délivrer. »

« Avant même de te façonner dans le sein de ta mère, je te connaissais; avant que tu viennes au jour, je t’ai consacré. »

Ces paroles adressées à Jérémie valent pour chacun de nous, chacun à sa mesure. Nous ne sommes pas nés par hasard; nous ne sommes pas devenus chrétiens par hasard, sans un appel de Dieu. C’est dommage que beaucoup de baptisés semblent être inconscients de cet appel à leur égard et ne semblent pas savoir ensuite pourquoi ils ont été baptisés, à quoi leur sert le baptême.

Frères et sœurs. En écoutant ces paroles du livre de Jérémie, pouvons-nous éviter de faire un rapprochement avec la situation actuelle de notre pays? Rien ne va plus et personne ne semble savoir d’où vient le mal, ni en chercher les vraies causes. Ni encore moins chercher de vraies solutions. Quoi faire? Et nous, comme peuple de Dieu, que pensons-nous de la situation actuelle de notre pays ?  Que faisons-nous? Où sont les Jérémie d’aujourd’hui? Et s’il y a des Jérémie, est-ce que nous les écoutons, ou bien ne faisons-nous pas comme le peuple d’Israël qui préférait se voiler la vue et ne voulait pas entendre les critiques du prophète, ni les solutions qu’il proposait : c’est-à-dire « balayer ses ordures et revenir au Seigneur dans la vérité, le droit et la justice »? (Jr 4,1). 

Je ne sais pas ce que Blaise, Fidèle et Norbert avaient en tête lorsqu’ils ont choisi cette parole de Dieu dans Jérémie pour leur ordination mais elle est peut-être plus loin que ce qu’ils pensaient. La mission confiée à Jérémie : d’arracher et de détruire, de bâtir et planter, est la mission de tout ouvrier dans le champ du Seigneur. Il ne peut y avoir de compromis entre un semblant de vie chrétienne et une foi véritable : les envoyés de Dieu doivent détruire afin de construire, déraciner le mal pour faire pousser le bien. Et cela doit d’abord se faire par le témoignage de l’envoyé lui-même qui doit mener une vie selon l’Évangile, et ne pas avoir peur de la vérité, même si elle doit le faire mal voir. On n’est pas prêtre pour être populaire mais pour être serviteur comme Jésus.

En parlant de « détruire et construire », n’a-t-on pas assez détruit dans notre pays, le moment n’est-il pas venu de construire, pas des bâtiments mais une société nouvelle?   

  1. « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour… Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis afin que vous alliez et portiez du fruit, et que votre fruit demeure. » 

Ces paroles rejoignent celles du livre de Jérémie : « Avant que tu viennes au jour, je t’ai consacré », c’est-à-dire mis à part. Ces paroles sont très importantes. En effet, nous savons que la vocation doit venir de Dieu, mais il y a un grand risque que quelqu’un se comporte comme s’il s’était donné lui-même la vocation. Dans ce cas, quels fruits va-t-il porter, sinon ses propres fruits, souvent très humains, et non les fruits de Dieu? Celui qui est envoyé doit faire la volonté de celui qui l’envoie, et lui rendre des comptes. Sinon il risque de faire sa propre volonté. 

« Demeurez dans mon amour ». Cela peut sembler facile mais que veut dire « demeurer dans l’amour de Jésus »? Cela veut dire deux choses : d’abord être fidèle à l’amour de Jésus pour chacun de nous. Comment? En gardant ses commandements, dit Jésus, comme lui-même a gardé les commandements de son Père. L’amour n’est pas une théorie, il doit se manifester de façon concrète, en gardant les commandements que Jésus nous a laissés et que nous retrouvons dans l’Évangile. Mais pour cela il faut connaître l’évangile, le lire hors de la messe, personnellement, en famille, en communauté.

Deuxièmement, demeurer dans son amour c’est répondre à l’amour de Jésus en l’aimant lui, et en nous aimant les uns les autres. Nous disons aimer Jésus, mais est-ce bien vrai? Je suis étonné par exemple qu’en dehors de la prière communautaire et de la messe, qui sont des prières formelles et officielles, nous les chrétiens, parlons très peu de Jésus dans notre vie concrète. Fait-il vraiment partie de notre vie de tous les jours? Nous prétendons aussi nous aimer les uns les autres. Mais de quel amour s’agit-il? « Aimez-vous comme je vous ai aimés… », dit Jésus. Le mot important ici est « comme ». Jésus ne dit pas seulement de nous aimer, ce qui risque de n’être qu’un semblant d’amour, mais d’aimer comme lui-même nous a aimés. Et comment nous a-t-il aimés? « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » Jésus a donné sa vie pour nous et il nous demande ni plus ni moins de faire comme lui. Et on n’aura jamais fini d’aimer, notre vie ne sera pas assez longue. C’est pour cela que Jésus demande que nous portions un fruit qui demeure. De fait, nous portons souvent du fruit qui ne dure pas, nous faisons des efforts ponctuels mais nous sommes peu persévérants. 

  1. « Sois pour les croyants un modèle par ta parole et ta conduite, par ta charité, ta foi et ta pureté. » (Timothée)

Chers petits frères, Blaise, Fidèle, Norbert. Je suppose que vous avez choisi ces recommandations de l’apôtre Paul à son disciple Timothée pour qu’elles soient le guide de votre vie spirituelle et presbytérale. C’est bien. Méditez-les souvent. Je me limite ici à en faire quelques applications. « Sois un modèle par ta parole et ta conduite, par ta charité, ta foi et ta pureté. »  C’est fondamental. Un responsable d’Église qui n’est pas en quelque sorte modèle pour les fidèles, qui fait le contraire de ce qu’il dit, qui ne vit pas l’Évangile qu’il annonce, perd toute autorité et est un contre-témoignage, sinon parfois même un scandale. Il devient une sorte de mauvais fonctionnaire préposé à la parole de Dieu. Encore plus grave : sa vie ne peut qu’éloigner les jeunes qui se sentiraient éventuellement appelés. C’est Dieu qui appelle, mais notre témoignage de vie est indispensable pour attirer les vocations. Si nous oublions cela, notre « pastorale des vocations » risque de n’être qu’une sorte de recrutement.

Le pape François a dit récemment aux participants d’un congrès sur la pastorale des vocations : « La pastorale des vocations signifie apprendre le style de Jésus… La pastorale des vocations est une rencontre avec le Seigneur. Quand nous accueillons le Christ, nous vivons une rencontre décisive, qui apporte la lumière dans notre existence, qui nous sort de notre petit monde étroit et fait de nous des disciples aimant le Maître. » Si les jeunes ne voient pas de telles personnes, comment sauront-ils ce que veut dire avoir la vocation?

Selon l’apôtre Paul, quels sont les moyens pour être un modèle pour les croyants? « Ne néglige pas le don de la grâce en toi qui t’a été donné… quand les anciens ont posé les mains sur toi. ». Vous jeunes qui allez être ordonnés, ilne faut pas croire que Dieu va tout vous donner à l’ordination et que vous n’aurez ensuite rien à faire. C’est si facile de négliger le don de la grâce. C’est ce qu’on fait par exemple en ne nourrissant pas notre vie spirituelle par la prière et la méditation de la parole de Dieu. L’apôtre Paul dit encore à Timothée :  « Prends à cœur tout cela, applique-toi afin que tous voient tes progrès. » Quelqu’un qui ne progresse pas, régresse. On ne peut pas rester stationnaire. Je dirais que c’est valable non seulement pour les prêtres mais aussi pour les professionnels, par exemple les enseignants qui ne nourrissent pas leur vie professionnelle, par l’étude et la lecture. Ils finissent par oublier ce qu’ils savaient et par mener une vie non seulement inutile mais qui ne peut leur donner aucune satisfaction, ni professionnelle, ni humaine.

Tout à l’heure, lors de l’ordination, je remettrai l’Évangile aux nouveaux prêtres en leur disant : « Reçois l’Évangile du Christ, que tu as la mission d’annoncer. Sois attentif à la Parole que tu liras, à enseigner ce que tu as cru, à vivre ce que tu auras enseigné. »

 L’apôtre Paul ajoute encore à Timothée : « Veille sur toi-même. »  Oui, il faut veiller sur soi-même. En priant, méditant, étudiant, pour progresser et se renouveler. On vient de le dire. Mais on oublie encore souvent que cela ne peut pas se faire tout seul. Celui qui dit ne pas avoir de comptes à rendre à ses frères et prétend traiter directement avec le Seigneur, celui-là est prétentieux et se trompe lui-même. La vie communautaire est fondamentale, nous l’avons assez dit. Je n’y reviens pas, même si je vois que tout n’est pas gagné à ce sujet. Mes frères prêtres, je rappelle qu’une vie communautaire et fraternelle sérieuse est non seulement une exigence de l’Évangile mais aussi une directive de votre évêque à qui vous promettez obéissance lors de votre ordination. Cette exigence est pour votre bien et le bien de l’Église. L’Église est communauté.

Conclusion.

De quels prêtres l’Église de Pala (du Tchad) a-t-elle besoin, et donc de quels séminaristes, de quelles vocations, de quelle pastorale des vocations? Je laisse parler quelqu’un de plus important que moi, le pape François, chef de l’Église universelle. Ce qu’il dit doit être pris au sérieux par tous, sans chercher d’excuses. Il en va d’ailleurs de l’avenir de notre propre Église de Pala.

 « Le regard du pasteur est un regard capable de susciter de l’émerveillement pour l’Évangile, de réveiller de la torpeur dans laquelle la culture de la consommation et de la superficialité nous plonge et de susciter des questions authentiques de bonheur, surtout chez les jeunes. C’est un regard de discernement, qui accompagne les personnes sans s’emparer de leur conscience, ni prétendre contrôler la grâce de Dieu. Enfin, c’est un regard attentif et vigilant, et, pour cela, appelé constamment à se purifier. Et lorsqu’il s’agit des vocations au sacerdoce et de l’entrée au séminaire, je vous prie d’opérer un discernement dans la vérité, d’avoir un regard avisé et prudent, sans légèreté et superficialité… L’Église et le monde ont besoin de prêtres mûrs et équilibrés, de pasteurs intrépides et généreux, capables de proximité, d’écoute et de miséricorde. » (Discours au congrès sur la pastorale des vocations – novembre 2016)

Je ne m’étends pas, nous aurons l’occasion d’y revenir en Église.

Maintenant prions pour nos jeunes frères qui seront ordonnés, prions aussi pour notre Église, en particulier pour la communauté des prêtres qui va les accueillir.

† Jean-Claude Bouchard